La conception pour un public précis : Collaborer avec les cultures autochtones

Bianca Message

De nos jours, plusieurs musées souhaitent collaborer avec des communautés autochtones afin d’en partager les cultures dans leur région, en plus de vouloir inclure plus de contenu autochtone au sein de leur institution.

Bien que plusieurs musées d’histoire régionaux possèdent de bonnes intentions, les efforts qu’ils déploient ne sont souvent que symboliques, ou ne sont pas couronnés de succès. Ce sont donc des non-autochtones qui racontent l’histoire des Premières Nations, une approche qui est loin d’être authentique. Chaque communauté et chaque situation sont différentes, et dans le cadre d’un projet de développement muséal de concert avec les communautés des Premières Nations, il n’existe pas de démarche unique ou conforme à adopter.

Grâce à cet article, j’espère partager quelques éléments appris lors de mes nombreuses années d’expérience qui pourraient être utiles aux concepteurs d’expositions et aux institutions qui souhaitent travailler avec des communautés autochtones.


Il faut du temps et des efforts pour instaurer un climat de confiance

Si c’est possible, rencontrez les membres de la communauté avec laquelle vous collaborez chez elles, donc dans leurs bureaux, leurs maisons, lors de leurs réunions et, s’ils vous y invitent, lors de leurs activités et leurs cérémonies. N’oubliez pas que vous êtes leurs invités; comportez-vous donc en conséquence. Il est possible qu’ils ne vous fassent jamais complètement confiance, alors vous devez aborder votre relation avec humilité et compassion.

Dans le cadre de mon travail, je suggère souvent de désigner un agent de liaison avec le conseil de bande, par exemple une personne qui fait partie de la culture avec laquelle vous collaborerez et qui a des liens avec la communauté ou, si vous ne trouvez aucune personne qui répond à ces critères, un consultant autochtone d’une autre communauté. Vous devez vous assurer, le plus possible, que toutes les communications passent par cet individu. Il ou elle est tenue de rassembler l’opinion de la communauté et les décisions qu’elle prend. Tous les échanges devraient être effectués par l’entremise de cette personne. Vous devez comprendre que ce rôle comprend d’immenses responsabilités et peut être un lourd fardeau pour quelqu’un.

Lorsque vous écouterez des discours et assisterez à des cérémonies, il est important de le faire avec respect. Lorsque quelqu’un prend la parole, ne regardez pas votre téléphone! Je garde toujours le mien fermé. Rappelez-vous, c’est un privilège et un honneur d’être présent. Restez assis, écoutez, observez, et ne parlez pas. Adoptez les règles d’étiquette de ceux qui vous entourent. Prenez le temps de vous imprégner de ce qui se passe autour de vous afin de mieux absorber les évènements.

Une vision différente du monde

Il est important de démontrer que vous respectez les diverses croyances spirituelles ainsi que les points de vue qui diffèrent du vôtre. Par exemple, dans certaines cultures, les artefacts contiennent l’esprit de celui ou celle qui l’a créé. Les objets sont traités comme des êtres vivants et porter des gants blancs pour les manipuler peut être un geste irrespectueux.
Les prières peuvent également être comprises au début ou à la fin d’une rencontre; dans la plupart des cas, la prière fait habituellement partie de l’ordre du jour. Si vous organisez une rencontre, vous pourriez demander à la personne appropriée provenant de la communauté s’ils souhaiteraient commencer la rencontre avec une prière.

La patience est la clé d’une bonne rencontre

Lors des rencontres, il est important d’introduire les participants et des objectifs précis. Chaque personne doit avoir la chance de se présenter; habituellement, ils annoncent leur nom autochtone, leur nom anglophone ou francophone, et leur rôle dans la communauté. Demandez à chaque personne dans la salle d’en faire de même, et demandez-leur ce qu’ils désirent retirer de cette rencontre, ou de l’exposition que vous mettez sur pied avec eux. Cela vous guidera tout au long de votre projet.

L’avis et les commentaires de la communauté doivent vous guider. Il est primordial d’enregistrer les rencontres puisqu’elles représentent des ressources précieuses que vous pouvez consulter à maintes reprises et utiliser pour suivre l’évolution du projet et les décisions prises. Vous pouvez tout simplement prendre des notes, ou encore effectuer des enregistrements audio ou vidéo si cela est permis. Ces dossiers doivent être retournés à la communauté à la fin du projet afin qu’ils puissent être conservés dans leurs archives. Assurez-vous de respecter cet engagement et de retourner tout ce qui leur revient puisque, après tout, cela leur appartient.

Il est important de faire une récapitulation au début de chaque rencontre, de confirmer ce qui vous a été dit, et de vous appuyer sur ces déclarations. D’après mon expérience, il est préférable de présenter un élément qui reprend là où la dernière rencontre s’est terminée. Vous avez le privilège de pouvoir inciter les gens à discuter et à partager; vous pouvez donc poursuivre les sujets déjà abordés et, à chaque rencontre ultérieure, effectuer un résumé pour confirmer ce qu’ils ont indiqué précédemment. De plus, vous pouvez obtenir l’affirmation que leurs propos ont été enregistrés et qu’ils ont été compris et interprétés correctement. Je vous encourage à effectuer des récapitulations et à vérifier la véracité des éléments à chaque étape du processus, de la conceptualisation à la mise en œuvre.

Les rencontres avec les communautés et les groupes témoins sont plus efficaces si vous offrez de la nourriture et des cadeaux. Ne vous présentez pas aux rencontres en pensant recevoir; vous demandez quelque chose, alors offrez quelque chose de tangible en échange. Un cadeau est un symbole d’honneur et de respect.

Soyez patient. Certaines questions et certaines réponses valent la peine d’attendre. Nous sommes habitués à des échanges rapides, habituellement dans de courtes périodes. Il est important de se rappeler que le silence en dit beaucoup et qu’il faut prendre le temps de transformer les pensées et les opinions en déclarations éloquentes. Vous devez comprendre que la communauté fait preuve de patience et prend le temps d’essayer de partager leurs récits avec vous afin que vous puissiez les partager avec le public.

Et finalement, gardez le silence. Je m’efforce d’écouter avec un esprit ouvert et tout mon cœur, de mettre mes croyances et mes idées de côté, et d’être patiente. Il est primordial de comprendre que les cérémonies et les rencontres peuvent prendre du temps.

Reconnaissez et respectez leurs voix

Il est important de réaliser que cela pourrait être la seule chance pour cette communauté de partager leurs récits, pour eux-mêmes, leurs futures générations et le public.

Ils sont les experts de leur propre histoire et vont partager avec vous ce qu’ils jugent nécessaire. Vous êtes un expert dans votre domaine; partagez votre expertise avec eux. Vous devez recueillir leurs récits verbalement et physiquement, que ce soit en écrivant sur des blocs-notes, en assistant à des présentations dans des communautés, ou avec des ateliers de groupe avec un représentant désigné. Vous devez connaître votre rôle et bien affirmer que vous comprenez bien leurs rôles.

Vous devez utiliser leurs mots, leur langue, leur manière de s’exprimer. Il faut chercher à abattre les préjugés. De mon expérience, quelques communautés demandent à leurs propres rédacteurs-doctorants de préparer leur contenu et leurs textes, et d’autres communautés préfèrent un style d’écriture moins théorique, plus personnel. Utilisez ce qui est le plus approprié selon la communauté.

Donnez aux jeunes la possibilité de partager ce qui leur tient à cœur au moyen de la peinture, de la sculpture, de la vidéo, de n’importe quel média. N’ayez pas peur de présenter des points de vue remarquables et vifs dans votre institution.

Rappelez-vous; l’histoire donne naissance à la conception

Lorsque vous montez une exposition, la dynamique émotionnelle et physique de l’histoire est primordiale. Les récits sont souvent déchirants et poignants et, en tant que concepteurs, nous devons respecter le fait que les visiteurs doivent prendre le temps d’absorber ce qu’ils viennent de voir; il faut concevoir des lieux de contemplation entre l’horreur et la guérison. Je serais toujours reconnaissante à Bonnie Ekdhal, du centre de la culture Anishnaabe Ziibiwing pour sa patience, et pour m’avoir transmis cette vérité.

Vous devez vous assurer de créer un concept solide en vue de célébrer leurs victoires. Par exemple, au centre culturel Ziibiwing, nous avons créé un défilé où participent des individus Anishinabe qui ont lutté contre la souveraineté depuis les années 1900 — Le défilé souverain (The Sovereignty Parade). Chaque mannequin portait les traits d’une personne importante de chaque décennie. Lors des cérémonies d’ouverture, des offrandes de tabacs ont été déposées au pied de ces figures et de celle de la réplique d’une formation de roche, l’un de leurs endroits sacrés. On ne s’y attendait pas, mais c’était un geste porteur de guérison pour les visiteurs et les vétérans de la tribu. La directrice. Bonnie Ekdahl, a dit que nous avions besoin d’installer un endroit où des offrandes pourraient être déposées. Nous avons trouvé ensemble l’endroit parfait, près du début et de la fin de l’expérience du visiteur, et nous y avons tout simplement placé une table drapée d’une couverture sur laquelle on avait déposé un bol destiné aux offrandes où les gens pouvaient prier. Pour les visiteurs, cet endroit demeure un lieu de guérison.

Vous devez toujours mettre l’accent sur ce qui est particulier à la communauté. Une certaine communauté avec laquelle nous avons travaillé était, et est toujours, amatrice de chevaux. Ils habitent tout autour de la communauté et sont libres. Nous nous sommes inspirés de cela et nous avons « mis des chevaux en liberté » dans l’exposition, en créant des sculptures qui ressemblaient à s’y méprendre à de vrais chevaux, comme s’ils se promenaient dans la galerie.

Il fait s’ouvrir au changement à mesure que le concept est mis en œuvre. Qu’il s’agisse de toutes petites modifications ou de changements majeurs, cela représente une chance d’améliorer ou d’étendre l’effet d’une exposition.

Il faut être souple

Lorsque vous planifiez l’horaire de conception de l’exposition, accordez-vous du temps pour les éléments marquants et ceux de la vie courante. Vous devrez faire face à des naissances, des décès, des cérémonies, des célébrations, des évènements culturels, et d’autres activités sociales. Ces évènements devront être respectés et observés, au cas où ils pourraient être intégrés au récit.

Vous devriez toujours avoir un plan auxiliaire pour les visites des lieux au cas où personne n’est disponible. Nous étions une fois sur le site pour un tournage de cinéma et, lorsque nous sommes arrivés, nous avons appris qu’il y avait eu un décès la nuit précédente. Le village complet était dans le deuil. Nous avons respecté cela et nous avons modifié nos plans en choisissant au lieu de filmer des scènes secondaires.

Évidemment, il est primordial de prendre ses responsabilités. Je vous encourage à avoir des appels hebdomadaires et des produits livrables à examiner, à observer ou à approuver. Vous devez livrer un produit, et la communauté doit en faire de même. Ne vous découragez pas lorsque des rencontres tombent à l’eau; continuez de persévérer.

Nous devons avant tout être prêts à apprendre, puisque c’est un privilège que nous avons.

Lectures
Lonetree, A. (2012). Decolonizing Museums: Representing Native America in National and Tribal Museums. Chapel Hill, NC: University of North Carolina Press.

Alexie, S. (2009). The Absolutely True Diary of a Part-Time Indian. New York, NY: Hachette Brown Group.

Ce rapport muséologique a été rendu possible grâce au financement du Gouvernement du Canada. Ce rapport a été également publié dans le magazine Muse, numéro juillet/août, 2018