Un modèle de musée pour célébrer des lieux, des communautés et des cultures

Molly Kett

Les écomusées sont des fragments uniques de l’histoire et de la culture que l’on ne trouve pas seulement au Canada, mais partout dans le monde. Un écomusée, dans sa définition la plus élémentaire, exprime l’esprit d’un lieu. Pour être plus précis, un écomusée est créé spécifiquement pour faire connaître l’esprit d’un lieu distinct; pour mettre en valeur une communauté, ainsi que les personnes qui la composent et leur patrimoine naturel et culturel. 

Il ne prend cependant pas toujours la forme d’un musée traditionnel. Comme le souligne le site Web de l’écomusée Kalyna Country, en Alberta, plutôt que de se rendre à un bâtiment ou sur un site donné pour voir des éléments d’expositions et des artéfacts, les visiteurs sont invités à se déplacer dans un territoire désigné pour découvrir le passé, la géographie et les cultures vivantes des communautés, qui sont organisés selon le concept général de l’écomusée.1 Ces types de musées reposent souvent sur la participation locale, car ils visent à favoriser le développement de la communauté dans laquelle ils sont établis. Le Réseau européen des écomusées les décrit comme une façon dynamique, pour les communautés, de préserver, d’interpréter et de gérer leur patrimoine afin d’en assurer le développement durable.2

Au Canada, le premier écomusée n’a été créé qu’à la fin des années 1970, au Québec. Dans son livre intitulé Ecomuseums 2nd Edition : A Sense of Place, Peter Davis souligne que le concept de l’écomusée s’est développé au Québec en même temps que s’est accélérée la conservation des lieux historiques, à partir des années 1970, dans la foulée de la désignation d’une trentaine de lieux par Parcs Canada sur une période de vingt ans. Les visiteurs se sont mis à explorer ces lieux historiques d’un œil nouveau et d’une façon intéressante. Peter Davis écrit qu’on a alors commencé à utiliser divers médias (sentiers, marches guidées, panneaux d’interprétation, activités d’histoire vivante) et à exploiter le talent de diverses personnes (sculpteurs, conteurs, musiciens, artisans) pour expliquer l’importance de ces lieux aux visiteurs.3 Cette façon d’aborder l’histoire de tout un lieu était nouvelle. On créait un lien entre un lieu historique et les gens et le patrimoine. L’écomusée de cette époque n’avait rien de traditionnel. Il cherchait à s’étendre au-delà des murs du musée typique.

L’écomusée joue un rôle multiple dans la communauté dans laquelle il se développe. D’abord, il intervient dans l’écologie de sa communauté, puisqu’il œuvre à préserver l’environnement naturel qui l’entoure. Ce rôle peut l’amener par exemple, à lutter contre la pollution, à protéger les espèces locales ou à favoriser une amélioration de la qualité de vie des citoyens. L’écomusée apporte une valeur économique dans sa communauté, car il établit un lien entre la conservation de l’histoire et de la nature et le renforcement de l’économie locale. L’écomusée attire les touristes qui, en retour, contribuent au bien-être économique de la communauté. Tout ce système permet aux citoyens de se préoccuper de questions économiques, environnementales et sociales et au bout du compte, d’améliorer la vie des membres de la communauté. Pour assurer la réussite de ce modèle, la communauté doit généralement agir comme une équipe dans laquelle certains membres s’impliquent davantage au sein de l’écomusée.

L’aspect fascinant de l’écomusée, c’est qu’il peut prendre différentes formes et différentes dimensions. Certains écomusées s’étendent sur des régions entières, alors que d’autres prennent encore la forme d’un musée plus traditionnel. Le financement de ce type de musée est également distinct. Certains sont entièrement financés par des fonds publics, alors que d’autres sont entièrement exploités et financés par la communauté, et que d’autres encore fonctionnent grâce à une combinaison de fonds publics et de fonds privés.

Prenons l’exemple de l’écomusée Kalyna Country situé à Vegreville, en Alberta. C’est le plus grand écomusée du Canada, car il englobe toute une région qui s’étend sur 20 000 kilomètres carrés. Comme il est tellement étendu, il abrite des musées traditionnels dans son territoire. Ses visiteurs sont encouragés à parcourir la région et à se sensibiliser à son histoire, à ses cultures et à ses aires récréatives naturelles. L’écomusée Kalyna Country est axé principalement sur les cultures des Métis, des Premières Nations et des Ukrainiens. En raison de son étendue, son modèle de financement repose sur la participation du secteur public, des bénévoles et du secteur privé.4

L’Écomusée du fier monde, à Montréal, au Québec, adopte un modèle tout à fait différent. Il est situé dans un bâtiment, comme un musée traditionnel. Il se définit comme un musée d’histoire industrielle et ouvrière de Montréal et un musée citoyen. Il se penche sur l’histoire et le patrimoine du Centre-Sud de Montréal, un quartier dont l’histoire s’inscrit dans le contexte de la Révolution industrielle de la deuxième moitié du 19e siècle au Québec. Comme la plupart des écomusées, l’Écomusée du fier monde crée des projets en collaboration avec la population et les institutions du quartier. Il promeut l’éducation en histoire et il est en phase avec le développement et le milieu naturel de sa communauté.5

Lorsqu’il parle de l’importance de l’Écomusée du fier monde, son directeur René Binette insiste sur le lien très fort qui l’unit à son milieu.

« L’interaction entre le musée et la population opère dans les deux sens. Elle se manifeste par la présence de la population dans l’écomusée et par la présence de l’écomusée dans le quartier », dit-il. « Ainsi, la communauté est présente dans nos activités et dans nos expositions. Elle est également présente dans notre structure organisationnelle et au sein de nos comités et elle collabore avec nous à de nombreux projets. »
René Binette ajoute que le musée s’implique dans son milieu en participant à différents comités et en assistant à des activités locales dans le but d’échanger avec la population.

La célébration d’une culture spécifique est un autre aspect important de la mission de l’Écomusée du fier monde.
« Ce qui est important, c’est ce que nous faisons sur le terrain. Très souvent, les écomusées sont situés dans des territoires ou des lieux où la culture est marginalisée », dit-il. « Alors bien souvent, la culture des minorités régionales issues de petits milieux n’est pas très présente dans les musées traditionnels, d’où l’importance des écomusées pour ces communautés. »

Il ajoute que l’Écomusée s’efforce de participer au développement de la région. « La collection ne se compose pas seulement des artéfacts que nous possédons et que nous préservons ici, mais elle s’étend à tout le quartier », conclut il.

L’Écomusée de Hearst, le seul de l’Ontario, selon Laurent Vaillancourt, l’un de ses bénévoles, illustre un autre type d’écomusée.

Il adopte une approche légèrement différente des deux autres dont nous avons parlé. Il est exploité principalement par des bénévoles, et il reçoit quelques subventions de la municipalité et subventions à l’emploi pour les étudiants qu’il embauche en été.

L’Écomusée de Hearst est situé dans une des plus vieilles maisons de la communauté, qui a été donnée par la municipalité de Hearst. Cet écomusée se définit comme « une organisation à but non lucratif qui promeut l’identité régionale, notamment l’identité franco-nord-ontarienne ». Le musée explore les origines, l’histoire et la religion des débuts francophones de la région. « Il se penche sur le passé et le présent tout en explorant l’avenir », dit-il.

« Je crois que les écomusées sont importants, parce qu’ils sont plus près de la population que les musées traditionnels qui établissent généralement une limite dans le temps », ajoute-t-il avant de nous parler de l’exposition permanente intitulée Les travaux du quotidien qui présente la vie dans les débuts de Hearst, du début des années 20 à la fin des années 40. Laurent Vaillancourt raconte ensuite que l’écomusée est en train de monter une collection de matériel publicitaire, de calendriers, de crayons, de cendriers, de tasses, et autres, et même de clés USB, qui portent tous le nom d’une entreprise ou d’une organisation locale. Le but est d’exprimer l’activité économique dans le deuxième quart de siècle de l’histoire de la ville, de 1948 à 1972. Le troisième quart insistera quant à lui sur l’aspect culturel, de 1973 à 1997, alors que des artistes locaux ont commencé à laisser leur marque dans la province. « Le thème du dernier quart de siècle n’est pas encore établi, et Hearst célébrera son 100e anniversaire en 2022. Nous voulons être un musée éclaté, un musée qui ne se limite pas à un endroit spécifique, mais qui couvre toute la ville. Nous essayons d’encourager les gens à montrer leur histoire, à prendre conscience de nos origines … et à réaliser que nous sommes les gardiens de notre patrimoine », dit-il.

Tout comme l’Écomusée du fier monde, l’écomusée de Hearst entretient des liens étroits avec sa population. Ses bénévoles font partie de comités locaux, comme le Comité de la scierie patrimoniale, et s’efforcent d’améliorer le milieu environnant. Laurent Vaillancourt conclut en disant que Facebook est l’un des outils les plus efficaces pour permettre à l’écomusée de rester en contact avec la communauté.

Si les thématiques et les modèles de chacun de ces écomusées diffèrent à bien des égards, le concept fondamental demeure le même. Ils s’efforcent tous de partager un esprit du lieu sur les plans historique et culturel tout en préservant et en améliorant la qualité de vie dans leur milieu.

Certaines provinces ont reconnu la valeur de l’écomusée. C’est le cas de la Saskatchewan qui a mis en place la Saskatchewan Ecomuseums Initiative (SEI).6 Lorsque les écomusées ont commencé à se répandre en Europe, le milieu muséal de la Saskatchewan s’est penché sur la question, car il n’y avait alors aucun écomusée en Saskatchewan, alors qu’on commençait à les voir apparaître dans d’autres régions du Canada. Le Royal Saskatchewan Museum a vérifié s’il y avait une volonté de créer des écomusées dans la province et il a reçu une quinzaine de manifestations d’intérêt. C’est ainsi que la SEI a été créée en 2012. Patrimoine Canada a également contribué au lancement des écomusées en entamant des recherches, et en réalisant trois études de cas sur des lieux d’écomusées. En 2013, les parties intéressées et les leaders communautaires ont assisté à un atelier à Regina, qui a donné lieu à la création d’un cadre de travail sur la planification d’un écomusée. Depuis lors, plusieurs projets d’écomusées sont allés de l’avant dans cette province.

L’un des projets les plus impressionnants issus de cette initiative est le Prairie Wind & Silver Sage Ecomuseum (PWSS) de Val Marie, en Saskatchewan. À l’origine, le PWSS était un petit musée qui a été transformé en écomusée en 2012 après avoir reçu du financement de SaksCulture. La transformation est encore en cours de réalisation, mais le PWSS s’efforce de conserver le paysage de prairies indigènes et de mettre en valeur la culture et l’histoire naturelle de cette région du Canada en exploitant les thèmes du paysage, de la faune, de l’élevage de bétail et des ciels nocturnes.

Le concept de l’écomusée, s’il est bien implanté dans certaines provinces canadiennes, continue tout de même de croître et d’évoluer. C’est un concept relativement jeune, mais il ne fait aucun doute que cette célébration et cette préservation de l’esprit du lieu continueront de croître et de s’étendre en Amérique du Nord.

 
  Ce rapport muséologique a été rendu possible grâce au financement du Gouvernement du Canada. Ce rapport a été également publié dans le magazine Muse, numéro septembre/octobre 2016