La photographie avec des perches à égoportrait :
un problème de sécurité pour certains musées

Robert Foreman

L’art de l’égoportrait est peut-être en pleine évolution, mais certains endroits qui sont des lieux de choix pour amateurs d’égoportraits ne sont pas prêts à emboîter le pas. La perche à égoportrait a été interdite dans de nombreux musées au Canada. L’objet, qui permet aux gens de se prendre en portrait avec leur téléphone intelligent à une distance supérieure à celle du bras étendu, pose problème à certains musées. 

Le Musée canadien pour les droits de la personne (MCDP), à Winnipeg, est un des derniers musées à se retrouver sous le feu des projecteurs après avoir interdit l’utilisation des perches à égoportraits dans ses expositions en mars 2015. Bien que certaines personnes aient tenté d’argumenter que cette décision va à l’encontre de la raison même d’exister du musée, la vice-présidente des affaires publiques, Angela Cassie, a déclaré que le musée a toujours favorisé l’utilisation de la photographie dans les musées pour un usage non commercial.

« Avant même l’invention des perches à égoportrait, nous nous sommes efforcés d’encourager l’utilisation d’appareils photo pour l’enregistrement des images » a-t-elle affirmé. Cependant, Cassie explique que la sécurité et l’expérience des visiteurs sont deux des raisons pour lesquelles ils « ne permettent pas l’utilisation de perches à égoportrait à l’intérieur du musée ».

Le MCDP n’est pas le seul musée à affirmer que les perches à égoportrait constituent un problème de sécurité. Le Musée des beaux-arts de l’Ontario (MBAO) fait également partie de la liste croissante des établissements qui interdisent cet outil. Mais, vous demandez-vous peut-être, qu’est-ce qu’une perche de métal peut avoir de si dangereux? Certains musées affirment qu’elle est dangereuse à la fois pour les gens et pour les expositions elles-mêmes. La directrice des adhésions et des services aux visiteurs du MBAO, Sandra Dobroski, a soutenu que les gens ne sont plus conscients de leur environnement lorsqu’ils utilisent des perches à égoprotrait.

« Si les gens, en prenant un égoportrait, reculent dans une œuvre d’art, ils peuvent l’endommager », explique-t-elle. Dobroski fait également remarquer que les utilisateurs de la perche peuvent ne pas porter attention à ceux qui se trouvent autour et heurter en reculant un groupe de personnes.

L’explication donnée par Cassie pour interdire la perche à égoportrait est particulière au MCDP, qui met l’accent sur la sécurité des visiteurs. Le musée comporte de nombreuses rampes et escaliers qui se chevauchent, ainsi qu’une tour.

« Avec une perche à égoportrait au bout de laquelle est fixé un téléphone, et qui serait tendue au-dessus d’une rampe, il y a davantage de risques que des objets tombent », assure Cassie. « Dans certains endroits de notre musée, la chute peut être de 200 pieds. » C’est aussi pour cette raison que le musée interdit les sac à dos au-delà d’une certaine dimension, les trépieds et d’autres accessoires d’extension.

Tous ces objets ont également été interdits par souci universel de protéger les artefacts de tout dommage. Cassie a indiqué qu’un de leurs grands modules d’exposition d’objets perlés métis n’est pas protégé par du verre, pour que les visiteurs puissent s’approcher autant qu’ils le désirent afin d’admirer la complexité des broderies. Mais ils ne veulent pas que les gens touchent les objets. C’est pourquoi le MBAO ne permet pas aux visiteurs d’utiliser des accessoires d’extension ou des objets volumineux qui pourraient heurter accidentellement les objets exposés.

Malgré ces raisons motivées par la sécurité pour interdire l’utilisation des perches à égoportrait, les musées ne les considèrent pas tous comme des objets dangereux. En fait, certains endroits, comme le Musée royal de l’Ontario (MRO), encouragent leur utilisation.

« Nous incitons les gens à prendre des photos à l’intérieur du musée, et c’est simplement un autre outil pour leur permettre de le faire », a déclaré le coordonnateur de l’initiative numérique, Ryan Dodge. Selon lui, la crainte de voir les gens toucher les artefacts est un peu trop montée en épingle.

« Vous pourriez probablement trouver une poignée d’incidents où des gens ont touché à un artefact avec ces perches, mais en réalité il y a toujours des gens qui touchent à des artefacts dans les musées, a-t-il indiqué. Les perches à égoportrait ne portent pas davantage les gens à toucher aux artefacts que le fait de ne pas mettre de barrière ou quoi que ce soit d’autre. »

Dodge croit que tout le problème vient de la peur de ce qui est nouveau. Le MRO encourage toute forme de photographie par les visiteurs, y voyant un aspect important de la façon dont l’expérience du musée est communiquée. Cela incite également davantage les visiteurs à partager leur expérience sur les médias sociaux, ce qui attire plus de visiteurs dans les musées.

« Si vous n’encouragez pas les gens à prendre des photos dans vos salles d’exposition et à partager leurs expériences, vous vous privez d’une importante opportunité, insiste Dodge. Les perches à égoportrait sont en réalité une petite partie de cette opportunité et c’est dommage que certains musées cèdent à la crainte des dommages qu’ils pourraient faire à un objet. »

Le MCDP, à Winnipeg, et le MBO continuent d’être très en faveur de permettre aux visiteurs de prendre des photos — mais pas avec des perches à égoportrait.

La journée annuelle #MuseumSelfie, un projet global sur Twitter qui incite les visiteurs et les conservateurs à se prendre en photo avec des artefacts a été populaire auprès de la plupart des musées, quelle que soit leur politique à l’égard de la perche à égoportrait. C’est le 18 janvier 2017 qu’aura lieu la prochaine édition du jour #MuseumSelfie. L’événement a été lancé en 2014, mais Dodge affirme qu’il aurait été presque impossible à organiser peu avant.

« Je me rappelle lorsque les téléphones intelligents ont commencé à se répandre, et que le problème était de contrôler ce que les gens faisaient sur leur téléphone dans les salles, a-t-il déclaré. Ça nous semblait assez insensé de dire aux gens quoi faire et quoi ne pas faire concernant les photos. »

Robert Foreman est un journaliste pigiste qui étudie le journalisme à l’Université Ryerson. Il a occupé deux postes de rédacteur à l’Eyeopener, le journal étudiant indépendant de Ryerson. Journaliste polyvalent qui a couvert toutes sortes de sujets, des sports à la politique, Robert est un journaliste accompli tant à l’écrit qu’à l’audiovisuel.

 
  Ce rapport muséologique a été rendu possible grâce au financement du Gouvernement du Canada. Ce rapport a été également publié dans le magazine Muse, numéro juillet/août 2016